35mm diary: Tirana I/II
C’est la rentrée, et qui dit rentrée dit gros ménage et tri – faire de la place, se séparer de ce qui n’a plus d’utilité ou retrouver des affaires oubliées dans un coin. Parmi les choses qui ont toujours une place chez moi, il y a mes photos. Des albums remplis de négatifs, des scans dans mon cloud, sur des disques, en local… Et des tirages chez quelques uns de mes proches.
Bientôt douze ans que je suis accro à la photographie. Je ne me souviens pas exactement de ce qui m’a plu dans ce domaine à l’époque où je débute, si ce n’est la pléthore de choses à apprendre sur cette machinerie complexe. Mon tout premier salaire empoché à 18 ans – des droits d’auteurs sur le portrait d’une amie, diffusé à la TV – me délivre la légitimité dont j’avais besoin pour embrayer dans le métier.
Je crois que n’ai jamais ressenti le besoin d’apprendre la photographie par le regard de quelqu’un d’autre. Peut être parce qu’apprendre en faisant soi-même était plus important pour moi. C’est ce qui a forgé ma mémoire digitale, au sens propre du terme. J’ai apprivoisé la photo comme un outil de compréhension de mon environnement et, au même titre que l’écriture, un moyen de garder des échantillons de vécu.
Dans mes albums, il n’y a rien entre 2016 et 2020. Aucune pellicule. Si je cherche bien, il reste quelques polas de ma pendaison de crémaillère et de mon voyage à New York en 2019 au fond d’une boîte. J’ai brûlé le reste.
Je ne suis ni journaliste, ni reporter. Mes photos ne témoignent que de ce que j’ai choisi de regarder, elles n’apportent aucun savoir, aucune preuve de quoi que ce soit pour les autres. Elles ne me servent qu’à me rappeler de la beauté ou de la laideur, de ce que cela m’a fait ressentir et si c’est toujours le cas en les regardant à nouveau.
C’est une expérience purement solitaire. Et je ne ressens plus le besoin de prouver que je sais prendre des photos, ni même l’envie d’en faire pour les autres. Je ne suis même pas certaine de vouloir encore dire que c’est mon métier.
C’est une des rares choses que je ne fais que pour moi. Je ne veux pas que ça change. Néanmoins, le savoir-faire est là et je continuerai de l’entretenir et de le transmettre à celles et ceux que ça intéressent.
Avant la standardisation du numérique, ma grand-mère faisait de gigantesques albums photos à la main après chacun de ses voyages. Ses armoires sont remplies de souvenirs à partager. À 83 ans, elle découvre l’Antarctique aux côtés de sa soeur et de son mari, ses fidèles compagnons de voyage, et de sa petite fille qui fantasme d’une isolation hivernale à Dumont D’Urville pour des raisons abstraites. Pour ses 90 ans, elle explore les fjords norvégiens avec son fils. La recherche de nouvelles images à ancrer dans sa mémoire est constante, insatiable.
Un jour, j’ai été mise en contact avec Françoise Huguier par un ami commun plein de bonnes intentions. En arrivant dans son atelier, je n’étais pas totalement convaincue du but de notre rencontre. Alors qu’elle allume sa troisième clope, en faisant défiler mes photos de manchots, je sens qu’elle est aussi mal à l’aise que moi. “C’est de la photo de carte postale” me dit-elle en reposant la tablette. Je ne lui en veux pas d’avoir cet avis. Françoise photographie pour documenter la culture, la politique, la mode. Ça n’a jamais été mon objectif. Je photographie mes propres émotions, sans les faire passer pour des réalités.
Désormais, quand je vois quelque chose de beau, je me sens divisée entre l’envie de le prendre en photo et le besoin de me forcer à l’apprécier sans en garder de trace matérielle. Je me dis que, si c’est important, je chercherai des mots pour le décrire, à la hauteur de ce qu’il m’a fait ressentir. Et si je n’y arrive pas, je le garderai pour moi.